Résidence d'artiste Tulle 2021 - 2022

Par Didier CHRISTOPHE1 2

 Texte tiré du catalogue d'exposition "Franck Claudon - La robe d'après-minuit".

 

Rytmée par plusieurs phases de résidence réparties sur une année, la rencontre entre les dentellières de l'association "Diffusion et Renouveau du Poinct de Tulle" et l'artiste Franck CLAUDON s'est organisée autour de la réalisation d'une oeuvre unique dont les différentes composantes nécessitaient compréhension et attention réciproques, mais aussi, dans une certaine mesure, adaptation des pratiques de part et d'autre. Car ce n'est pas rien que de réaliser une robe de bal luxueusement ornée, comme le souhaitait Franck CLAUDON.

 

Il va sans dire que l'artisanat de la dentelle au "Poinct de Tulle", effectuée à l'aiguille sur un réseau de type filet, est bien codifié, utilisant depuis le XVIIe siècle au maximum sept points de complexité et de densité diverses.

 

De la rencontre humaine avec l'artiste ou de la rencontre esthétique avec son oeuvre, il peut être difficile de démêler ce qui favorise l'accroche des dentellières lorsqu'un projet d'art contemporain leur est proposé. Même si le contexte de répétition des résidences a permis localement une acclimatation progressive aux pratiques de la création contemporaine, il ne va pas de soi que l'accueil soit assez unanimement enthousiaste pour le travail du plasticien ou de la plasticienne dont le jury a retenu la candidature à l'issue de l'appel à projet. Dans le cas de la résidence de Franck CLAUDON, c'est l'effet conjoint de la qualité de sa relation, de l'excellence technique de son travail, et du regard qu'il porte sur l'artisanat qui paraît avoir assuré la prise en compte rapide de sa proposition, et une adhésion large à la dynamique qu'il souhaitait apporter. Le passage initial par une présentation de certaines de ses oeuvres a aussi permis l'identification par les dentellières d'un champ commun dans lequel le travail au fil tient une part imminente.

 

1 - LARA-SEPPIA, EA 4154, Université de Toulouse, F-31000 Toulouse, France. École nationale supérieure de formation de l'enseignement agricole, F31320 Auzeville-Tolosane, France.

2 - Docteur en arts, l'auteur navigue entre les champs des arts et ceux des sciences humaines et sociales. Son dernier ouvrage publié aux editions L'Harmattan est une Histoire de l'agriculture vue par les artistes (2021).

"Le Fou"

 

L’œuvre fait référence au fou du jeu des tarots.

 

Je m’identifie à celui qui cherche, qui suit son chemin rempli dembuches de renoncements, de douleurs et de joies, et qui comme le dit si justement Niki de Saint Phalle « sait qu’à la fin du jeu, il y aura un trésor ». Le choix de réaliser une camisole, ce vêtement qui entrave et réduit les libertés, n’est pas innocent pour symboliser mon enveloppe charnelle, car c’est ce qu’on voit et juge en premier chez un individu.

 

 C’est donc un autoportrait, où le plus riche, le plus obsessionnel, le plus généreux des mondes reste caché aux yeux de tous, mais si on sapproche, si on vient y regarder, on peut apercevoir le trésor.

 

Ce long travail où le temps n’est pas compté, sest fait malgré lui, lors du confinement de lannée 2020.

 

Les contraintes du départ sont devenues des composantes à part entières de l’œuvre, comme le manque de fil blanc, ou l’obligation de rester chez soi et de s’astreindre à un rythme de travail plus soutenu qu’en temps normal.

 

Toutes les paillettes sont donc cousues au fil rouge, comme des « veines », symbolisant la vie, le sang du corps de ce vêtement que j’ai volontairement voulu rugueux, pauvre et désincarné à l’extérieur en opposition à la richesse intérieur qui fourmille et scintille de tout ses feux.

 

L’œuvre peut évoquer une certaine folie, pour parvenir ainsi à venir à bout d’un tel travail, mais il est pour moi un éloge de la lenteur et finalement une façon comme une autre de se préserver du monde.

 

La boule de verre pendue au centre et remplie de la poussière récoltée sur l’armoire de la chambre des parents, évoque les souvenirs, mais aussi le temps lent passé à coudre ces points ; le travail accompli.

 

Le Fou, montre l’enfermement volontaire bien sûr, mais vu de l’extérieur sur cette toile rêche et rude, c’est l’internement de l’artiste Camille Claudel qui est évoqué par la broderie au fil rouge de l’extrait d’une de ses lettres adressées à son plus proche soutien, Eugène Blot.

 

La camisole est une œuvre suspendue, posée sur une carcasse de fil de fer, qui suggère une vie fragile, que le regardeur peut troubler en tirant sur une des manches pour faire tinter les perles et grelots qui pendent à l’intérieur du Fou.

 

Regarder dans l’œuvre, c’est vivre son expérience, faire son propre jeu.

 

Franck Claudon. Mai 2020. "Le Fou" - tissus, paillettes, cabochons, fil de fer, perles, grelots, fil de coton rouge, poussière.

La démarche picturale de Franck nous entraîne dans un microcosme d'émotion à la fois physique et mental, un état de transgression.

 

Je suis soulevée et guidée en même temps.

 

Le rythme est symphonique, une pulsation, un pointillisme presque verbal comme l'hymne d'un conte pour un buveur de thé. On perçoit le temps qui devient l'abstraction du tableau et en même temps l'espace sonore.

 

Ce travail soulève les sens de l'épiderme tout en nous maintenant debout.C'est comme un grand frisson vertical. Il y a dans cette notion du temps qui nous fascine de la main qui oeuvre une méditation, le ralenti essentiel de notre intériorité. 

 

Et pourtant, il y a dans cette grande maîtrise, une part aléatoire où l'artiste plane, s'échappe du réel et nous absorbe dans sa grande spirale allégorique d'une onde de vie, un chemin tissé entre nos cultures, un langage universel.

 

Lydie Arickx. avril 2018

« Ses temple » 

 

Le papier grince sous la force d'un feutre insistant qui se répète à l'infini. Les traits noirs inscrivent leur méditation, inlassablement ponctuée d'une douleur aphone qui renferme le temps d'une pensée déterminée.

 

L'enfer s'ouvre alors...

 

Tandis que se dessine cet enfermement, que la multitude tente pourtant de déliter intégralement, se crée progressivement un miroir au traumatisme fort. Tout exprime la dissidence à la force des interdits ; une lutte contre l'autoritarisme invincible de sa perfection defectible.

 

C'est l'éternité que l'oeuvre caresse...

 

Ces ailes sont silencieuses, paralysées par ces jets que tout oppose dans une lenteur processionnaire. L'oeuvre incomplète chuchote un verbe étranger dans une répétition entêtante qui se poursuit jusqu'à ce que l'être soit digéré.

 

Diocluciano MOTA - poète - Sainte-Geneviève-des-Bois - 2017

 

Franck Claudon

artiste peintre

Ste-Geneviève-des-Bois (Paris)

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